Essais nucléaires

Visite du président Macron en Polynésie : que peut-on en attendre ?

Victimes du nucléaire

Mise en ligne : Vendredi 23 juillet 2021
Dernière modification : Mercredi 16 novembre 2022

Du 24 au 28 juillet, Emmanuel Macron effectue sa première visite en Polynésie française en tant que président de la République. Selon le programme annoncé, il faudra attendre le dernier jour pour que soit abordée la question des conséquences des 193 explosions nucléaires réalisées sur les atolls de Moruroa et Fangataufa alors qu’il s’agit du principal contentieux entre la Polynésie et la Métropole. Que peut-on en attendre ?

Un contentieux qui ne date pas de la publication de l’ouvrage Toxique paru en mars dernier, comme le laissent trop souvent entendre la presse et les autorités politiques. Avant même le premier tir nucléaire du 2 juillet 1966, des oppositions face aux conséquences que cela pourrait entraîner pour la population s’étaient déjà faites entendre en Polynésie (cf. documents joints à télécharger). La constitution des associations — Moruroa e tatou en 2001, Association 193, en 2014 — a permis d’amplifier la contestation face aux discours officiels sur la « bombe propre ». On se reportera tout particulièrement aux différents travaux de Bruno Barrillot publiés par l’Observatoire des armements ou au récent ouvrage publié par l’historien Jean-Marc Regnault sur l’histoire des essais atmosphériques en Océanie de 1946 à 1974 [1].

Un contentieux qui d’ailleurs empoisonne non seulement les relations avec les Polynésiens, mais également avec l’Algérie où se sont déroulées les premières explosions nucléaires entre 1960 et 1966 aux conséquences environnementales et sanitaires tout aussi problématiques et surtout non encore réglées soixante ans après, comme nous l’avons souligné dans l’étude Sous le sable, la radioactivité ! parue l’an dernier.

Déjà en 2016…

Le président Macron souhaiterait « tourner la page des 193 explosions nucléaires ». Une volonté manifestée lors de la table-ronde qui s’est déroulée à Paris les 1er et 2 juillet en préparation de son déplacement à Tahiti. Mais les déclarations de Geneviève Darrieusseq, secrétaire d’État auprès de la ministre des Armées, comme quoi «  Il n’y a pas eu de mensonge d’État  » manifestent surtout une volonté gouvernementale d’étouffer les problèmes plutôt que d’« assumer ses responsabilités ».

Certes quelques mesures compensatoires seront annoncées, mais en écartant «  toute idée d’un pardon de la France », le Président de la République manifestera en même temps son refus de reconnaître le peuple polynésien dans son identité bafouée et détruite par l’implantation du CEP, le Centre d’essais du Pacifique.

De plus, quelles que soient les bonnes intentions annoncées par le Président au terme de sa visite, il se posera immédiatement la questions des moyens alloués pour leur mise en œuvre. D’autant que ce n’est pas le premier discours présidentiel aux promesses non tenues…

Son prédécesseur, François Hollande avait fait le déplacement le 22 février 2016 jusqu’à Tahiti pour présenter les excuses de la France : « Je reconnais que les essais nucléaires menés entre 1966 et 1996 en Polynésie française ont eu un impact environnemental, provoqué des conséquences sanitaires et aussi, et c’est un paradoxe, entraîné des bouleversements sociaux lorsque les essais eux-mêmes ont cessé [2] », avant d’égrener plusieurs engagements dont les principaux sont — 6 ans plus tard — toujours en cours de réalisation, pour ne pas dire au point mort !

Quels sont les enjeux ?

En date du 7 juillet, le Premier ministre a adressé un courrier au président de la Polynésie dans lequel il fait part des conclusions qu’il tire de la table ronde « pour l’action gouvernementale dans les mois à venir ».
Pour le Premier ministre, tout le problème proviendrait d’un manque d’information des Polynésiens qu’il s’agirait de remédier « afin de faire reculer certaines idées ou théories dépourvues de fondement scientifique et qui enferment le débat public ». En clair, il leur faudrait faire confiance au CEA, INSERM et autres organismes officiels et non écouter les lanceurs d’alerte et autres expertises citoyennes !

• Comme première question, il pointe l’ouverture des archives pour lesquelles « un effort sera fait pour que des fonds documentaires nouveaux soient communiqués très rapidement aux chercheurs et au public ». Pour cela, une commission a été mise en place sous l’autorité de la ministre des Armées pour faire le tri de ce qui sera communicable ou non. Et c’est bien là le problème. Combien de temps cela va prendre ? Quels moyens disposent cette commission ? Et surtout qui la compose ? Il est difficile de faire confiance au ministère des Armées, d’autant que le régime juridique repose toujours sur l’incommunicabilité des archives concernant le nucléaire et qu’il n’existe pas au minimum de listing public exhaustif de l’ensemble des archives existantes…

• Seconde question abordée par le Premier ministre : les conséquences sur la santé. Là encore nous sommes toujours face aux même discours : les effets «  ne peuvent être niés  » mais il faut « mieux comprendre et connaître les mécanismes d’apparition et de développement des maladies radio-induites ». Résultat : approfondir et élargir les études déjà existantes… Ce qui permet de repousser à une date ultérieure, la plus lointaine possible, la prise en compte des maladies pour améliorer la prise en charge des victimes. De quoi être inquiet. D’autant que si on prend l’exemple de l’Inserm à qui une étude avait été confiée en 2013 et qui au final a publié ses conclusions en 2021 pour dire justement qu’il ne pouvait ni confirmer, ni infirmer « de façon solide sur les liens entre les retombées des essais nucléaires atmosphériques et la survenue des pathologies radio-induites en Polynésie française [3] » ! Dernier point : rien n’est indiqué sur la question de la transmission intergénérationnelle, alors même que plusieurs alertes sur les « atteintes aux enfants » polynésiens ont été lancées, notamment par le Dr Christian Sueur qui a dirigé durant plusieurs années l’unité de pédopsychiatrie du Centre hospitalier de la Polynésie française à Tahiti .

Dans son courrier, le Premier ministre présente également plusieurs mesures d’accompagnement, de moyens à renforcer, de remboursement à opérer auprès de la Caisse de prévoyance sociale. Mais sans véritable engagement ni calendrier précis. Un peu comme si, toutes proportions gardées, nous étions dans le même décalage auquel nous avons assisté entre les demandes élaborées par la Convention citoyenne sur le climat et ensuite la loi sur le climat qui vient d’être adoptée…

Si le président Emmanuel Macron veut véritablement tourner la page, il faudra qu’il dépasse les postures de communication et prenne des engagements précis qui répondent aux demandes de Vérité et Justice des populations et des associations de victimes.

En complément…

Deux articles sur l’histoire de l’opposition aux essais nucléaires en Polynésie réalisés par Bruno Barrillot et publiés dans Damoclès et la Lettre aux parlementaires sur le désarmement et la non-prolifération en 2016 à l’occasion de la cinquantième commémoration de la première explosion française à Moruroa.

[1Jean-Marc Regnault, Le nucléaire en Océanie, tu connais ? Histoire des essais atmosphériques (1946-1974), éditions Api tahiti, 1er juillet 2021, 210 pages.

[3Inserm, Essais nucléaires et santé. Conséquences en Polynésie française, collection Expertise collective. Montrouge : EDP Sciences, 2020, 620 p. Disponible : https://www.inserm.fr/information-en-sante/expertises-collectives/essais-nucleaires-et-sante-consequences-en-polynesie-francaise

CONSÉQUENCES DES ESSAIS NUCLÉAIRES EN POLYNÉSIE : 10 DATES-CLÉS

27 janvier 1996 : 210e et dernière explosion nucléaire de la France en Polynésie française.

2001 : création des associations Moruroa e tatou (en Polynésie) et Aven (Association des vétérans des essais nucléaires) en métropole.

2003 : Dépôt par les associations Moruroa e tatou et Aven avec des victimes, d’une plainte contre X pour mise en danger de la vie d’autrui et demande d’accès au dossiers secrets défense.
2
005 : suite au changement politique en Polynésie et l’accession de l’indépendantiste Oscar Temaru à la présidence, l’Assemblée territoriale met en place une commission d’enquête sur les essais et engage Bruno Barrillot, co-fondateur et directeur de l’Observatoire des armements, comme principal rédacteur du rapport. Dans la suite, le gouvernement créera une « Délégation au suivi des conséquences des essais nucléaires » (DSCEN) en 2009 qui lancera plusieurs initiatives sur le recueil de la mémoire des « témoins de la bombe », au niveau de la réhabilitation des anciens sites, de l’enseignement du fait nucléaire en Polynésie, etc.

2008 : création du « Comité de soutien Vérité et Justice » pour appuyer l’action des associations qui regroupe de nombreuses personnalités ainsi que des parlementaires. Il contribuera à l’élaboration d’une proposition de loi commune entre les différents groupes politiques. Du coup, le gouvernement s’est empressé de déposer un projet de loi pour ne pas perdre la maîtrise de l’indemnisation des victimes.

2010 : le 5 janvier est publié au Journal officiel la « loi relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires français », dite « Loi Morin » qui comporte plusieurs verrous pour restreindre le nombre d’indemnisation.

2013 : après de nombreux recours juridiques engagés par les associations de victimes, le gouvernement déclassifie près de 400 documents d’archives qui permettront d’élargir l’application de la loi Morin à l’ensemble de la Polynésie au lieu de zones extrêmement limitées comme prévu jusqu’alors. De même, le Comité chargé d’accorder ou non les indemnisations (CIVEN) devient une autorité administrative indépendante au lieu d’être un organisme aux mains du ministère de la Défense.

2013 : Le 17 mai, l’ONU réinscrit la Polynésie française sur la liste des pays à décoloniser au terme d’un processus enclenché par les indépendantistes de laquelle la question nucléaire n’est pas absente, provoquant la colère de Paris qui dénonce alors « une ingérence flagrante » et depuis demande que la Polynésie soit retirée de cette liste.

2016 : pour la première fois, un président de la République, reconnaît « solennellement […] que les essais nucléaires menés entre 1966 et 1996 en Polynésie française ont eu un impact environnemental, provoqué des conséquences sanitaires et aussi, et c’est un paradoxe, entraîné des bouleversements sociaux lorsque les essais eux-mêmes ont cessé » (discours de François Hollande, le 22 février 2016 à Tahiti) et annonce différentes mesures pour « répondre » aux « revendications des associations des victimes qui sont d’ailleurs portées par les élus polynésiens ».

2017 : grâce à l’initiative de la DCSEN, alors dirigée par Bruno Barrillot, et aux élus polynésiens, nouvelle modification de la loi Morin supprimant le verrou du « risque négligeable » qui permettra une forte augmentation du nombre de dossiers d’indemnisation acceptés.

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